/ Accueil   / Focus _   / Entretiens  
Facebook
›››
‹‹‹

2/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Éric Mézan

1- Tu as été invitée à réaliser un projet in situ au domaine de Candé dans le cadre du parcours Act(e)s. Qu’est ce qui a suscité chez toi l’intérêt pour ce lieu ?

J’ai tout de suite été charmé et appelé par ce domaine particulièrement préservé, baigné dans la nature et situé à seulement quelques kilomètres de Tours. La présence d’un rucher sur place, géré par un apiculteur professionnel, était aussi un signe pour moi. Je l’ai interprété comme un feu vert. Je me suis alors dit qu’en proposant un projet artistique en lien direct avec la biodiversité préservée des lieux, je pouvais être à la fois l’ambassadeur d’une cause artistique et environnementale, l’art et la nature, en lien avec le vivant, étant un de mes thèmes de recherche dans ma pratique artistique.

2- Le chant des abeilles est une pièce sculpturale et sonore qui nous alerte sur un certain nombre de problématiques liés à l’environnement. Peux-tu nous parler de la genèse de ce projet ? Et a t-il été nourri par le faite que tu sois également à la fois artiste et apiculteur ?

Ma pratique artistique est indissociable de ma pratique en tant qu’apiculteur. Petit-fils de vigneron champenois, j’ai comme beaucoup d’enfant grandi à la ville et suivi de longues études loin de la campagne. Mais après toutes ces années passées loin de la nature, un retour à la terre s’est naturellement imposé à moi. Et c’est l’apiculture qui m’a permis de renouer avec ce que j’avais si bien connu enfant. Tout en poursuivant mes projets artistiques, j’ai eu l’opportunité de suivre deux années d’enseignement à la pratique de l’apiculture, à la Société Centrale d’Apiculture à Paris, puis à l’Union Apicole Ornaise dans le Perche. J’ai littéralement été fasciné par le monde des abeilles que j’ai réellement découvert à cette occasion. Leurs modes de communication sont incroyablement élaborés et somme toute encore assez mystérieux pour nous. Les chercheurs ont commencé à explorer et décrypter le langage des abeilles, les fameuses danses des abeilles, mais aussi le bruissement de leurs ailes et l’incroyable chant des reines. Et c’est en observant de vieux apiculteurs que j’ai pris toute la mesure de l’importance de l’écoute du bourdonnement des abeilles lorsque l’on vient travailler dans un rucher. En forçant notre attention nous pouvons ainsi détecter, à l’oreille, d’éventuelles anomalies dans le bon fonctionnement des colonies. Enfin, c’est probablement lors de la projection d’un film sur la pratique de Marc Namblard, audio-naturaliste français de renom, que je me suis décidé à explorer l’empreinte sonore des abeilles d’un point de vue artistique.

3- Par rapport à ton idée initiale, tu as du prendre en compte un certain nombre de contraintes pour l’installation de cette pièce sur le domaine de Candé, j’aimerais que tu nous en parles, car il me semble que ces contraintes ont participé intrinsèquement à la conception finale de la pièce.

Je suis féru de d’art et de nature, tout autant que je le suis de nouvelles technologies et d’interactions humaines. Et le projet de Candé doit pour moi s’inscrire dans ces différentes dimensions. J’aime la simplicité des dispositifs, j’aime forcer ma propre attention et celle du public sans avoir à convoquer des moyens démesurés. Un projet artistique est pour moi réussi si le spectateur peut expérimenter son propre rapport au monde qui l’entoure, si tout à coup il peut prendre conscience de choses, aussi discrètes soient-elles, qu’ils ne prenaient pas la peine de voir, sentir ou écouter auparavant. Pour que cela puisse se faire ainsi à Candé, j’ai pensé qu’il fallait tout à la fois respecter ce lieu magnifique, les abeilles et le public. Mon propos n’est donc pas de faire des abeilles des animaux de cirque auxquelles on viendrait rendre visite et que l’on observerait à travail une cage de verre. Si les abeilles ne sont pas très loin de cette corne de brume surdimensionnée que j’ai conçue, elles restent toutefois à bonne distance des visiteurs et continuent à vaquer tranquillement à leur occupation tandis que nous venons écouter leur bourdonnement tantôt mélodieux, tantôt plaintif. Pour amplifier les sons émis, j’ai également pensé qu’il serait intéressant d’avoir une installation électrique autonome et l’emploi de l’énergie solaire s’est donc imposée naturellement. Nous allons donc tenter d’alimenter le dispositif audio au moyen d’une panneau solaire, d’une batterie et d’un convertisseur avec une autonomie maximum. Enfin, j’ai appris qu’un Wifi public serait bientôt installé sur le site. J’aimerais grâce à cela pouvoir transmettre « le chant des abeilles » à l’autre bout du monde en utilisant une simple connexion internet. Imaginez par exemple qu’un Japonais ou un Brésilien puisse simplement se connecter via son ordinateur et écoute, en direct, le bourdonnement des ruches de Candé et que cela lui donne des indications sur l’état de santé des colonies d’abeilles de la région. Ce Chant des abeilles serait alors une véritable métaphore de l’état du monde. Et d’autant plus d’actualité dans ce contexte de crise dramatique du Coronavirus que nous vivons depuis maintenant plusieurs mois à l’échelle de toute la planète.

4- Ce projet tu as pu le finaliser grâce à la collaboration avec différentes personnes. Je souhaiterais également que tu me parles de l’aspect collaboratif de ce travail.

Oui, c’est un travail d’équipe incroyable. Avec toi, la commissaire d’exposition, tout d’abord. Ton regard et ton écoute d’experte dans le domaine de la création sonore, tant dans le champ de l’art contemporain, que de la littérature ou de la musique sont particulièrement précieux. Ce sont donc les échanges fructueux que j’ai eus avec to qui m’ont donné envie de pousser le plus loin possible ce projet artistique. Ma rencontre avec l’équipe de Candé a elle aussi été déterminante. Delphine Maurin, directrice, et Fabien Thibault-Gabily m’apportent une connaissance du terrain irremplaçable ainsi qu’une expertise technique sans laquelle le projet ne pourrait se faire dans de bonnes conditions. Ma rencontre avec Alain Marchais, apiculteur professionnel, m’a conforté dans la direction que j’avais choisie. C’est un homme passionné, qui est prêt à défendre bec et ongle les écosystèmes de notre planète désormais dans un bien triste état. Il pratique une apiculture particulièrement respectueuse de l’abeille, une apiculture comme j’aime la pratiquer moi-même lorsque je troque mes habits d’artistes contre ma combinaison blanche pour aller aux ruchers. Il aime une certaine forme de rusticité mais c’est aussi un formidable geek de l’apiculture lorsqu’il installe des capteurs et de caméras qui lui permettent de se connecter en permanence à ses ruches, quel que soit l’endroit où il se trouve. Enfin, pour la construction en bois de l’imposante corne de brume qui constituera la partie principale de l’installation du Chant des Abeilles, j’ai confié la réalisation à Marc Bervillé, un jeune compagnon-charpentier installé à quelques kilomètres de mon atelier, en plein coeur du Parc naturel du Perche. Les projections 3D élaborées à partir de mes dessins et croquis d’étude ont été réalisées par un écrivain-architecte talentueux Damien Malige. Nous sommes pratiquement une équipe de dix personnes à collaborer sur ce projet en incluant les équipes techniques de Candé et du département, ainsi que notre fournisseurs en matériel d’énergie solaire, la société Alterbatt située à quelques kilomètres de Candé.